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Les comportements sexuels inappropriés (CSI) dans le cadre des consultations de sexologie

Alors que les violences sexistes et sexuelles sont un sujet souvent abordé en consultation de sexologie par les patient·es, les sexologues ont jusqu’à aujourd’hui rarement pris la parole pour parler de celles qu’ils et elles subissent dans le cadre de leur profession.

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La sexologue Camille Bataillon a réalisé en février 2024 un épisode de son podcast Camille parle sexe sur les stratégies mises en place par les femmes sexologues pour se sentir en sécurité lorsqu'elles exercent. Elle a reçu en retour de nombreux messages de sexologues qui partageaient leur constat que les comportements inappropriés de la part d'hommes sont fréquents.

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Quelques mois plus tôt, après avoir personnellement lu et entendu de nombreux témoignages de sexologues ayant eu des doutes voire des difficultés pour déterminer comment réagir face à des comportements déplacés, et ayant moi-même été concernée par ces questionnements, il m’est apparu important de mener une étude sur ce sujet.

Les points à retenir

  • Les comportements sexuels inappropriés (CSI) à l’égard des sexologues sont très fréquents : 39% y ont été confronté·es au cours des 30 derniers jours (et 91% au cours de leur carrière)

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  • Les CSI les plus fréquents sont les prises de contact sans intention de prendre rendez-vous qui visent à avoir une conversation excitante (25% au cours des 30 derniers jours), les propos inutilement crus ou pornographiques qui visent à déstabiliser (17%), l’évocation de possibles interactions sexuelles en consultation (14%), les demandes de services sexuels ou de réalisation de fantasmes (13%) et l’envoi de contenu sexuellement explicite comme les « dickpics » (8%)

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  • Ces situations déclenchent le plus souvent de la colère chez les sexologues (60%), des doutes sur leur façon d’être avec les patient·es (49%) ou un sentiment d’insécurité (46%).

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  • Les sexologues en parlent à leurs collègues (66%) et leurs proches (63%), mais plus rarement en supervision (29%) et très peu aux organisations professionnelles (3%).

  • 73% des sexologues estiment ne pas avoir été formé·es à identifier et réagir aux comportements sexuels inappropriés pendant leur études de sexologie.

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  • Les CSI ont un impact sur les pratiques des sexologues, qui mettent en place une grande variété de stratégies individuelles pour s’en protéger, par exemple ne consulter que sur rendez-vous (52%), ne pas communiquer leur numéro de téléphone (14%), porter une tenue spéciale (13%), s’équiper d’un moyen de défense physique (13%) ou veiller à ne jamais être seul·e sur leur lieu de consultation (13%).

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  • Les mesures collectives à mettre en place en priorité aux yeux des sexologues sont la sensibilisation systématique sur ce sujet pendant la formation de sexologie (77%), l’élaboration de recommandations pour se protéger et savoir comment réagir (62%) et la création de formations avec jeux de rôle pour identifier des comportements et y réagir (52%)

Contexte de l'étude

Dans la littérature scientifique, ces situations sont rarement décrites comme des violences. On retrouve plutôt le terme de comportement sexuel inapproprié (CSI), parfois comportement inapproprié à connotation sexuelle ou comportement sexuel problématique. Ces termes désignent les actes à connotation sexuelle (propos, attitude, geste) qui sont déplacés dans un contexte social donné. Dans le contexte des relations soignant·e-patient·e, il s’agit des comportements qui cherchent, explicitement ou non, à établir une interaction à connotation sexuelle qui sort du cadre de la relation thérapeutique.


Ces comportements peuvent entraîner des conséquences négatives pour les personnes qui y sont confrontées. Il est aujourd’hui établi que le harcèlement sexuel dans le cadre professionnel peut affecter la santé mentale et physique, et dans le cas des soignant·es, risque de dégrader la qualité des soins  et d’entraîner une baisse de la satisfaction professionnelle et du sentiment de sécurité au travail.

 
Plusieurs spécificités des consultations de sexologie peuvent faire penser que le risque d’être exposé·e à des CSI est particulièrement élevé pour les sexologues : 

  • L’exercice fréquent en libéral, dans un cabinet ou en téléconsultation, qui peut isoler les professionnel·les et n’est pas forcément un choix (il existe très peu de postes en institutions, associations ou à l’hôpital)

  • La féminisation du métier, avec 83% de femmes en 2019 contre 31% en 1999  

  • Le manque de notoriété du métier de sexologue, de son cadre et des sujets qu’il est pertinent d’aborder en consultation

  • La stigmatisation des activités liées à la sexualité


Pourtant, aucune étude n’avait pour l’instant été menée auprès des sexologues francophones à propos des VSS ou des CSI qu’ils et elles ont pu rencontrer. Après avoir personnellement lu et entendu de nombreux témoignages de sexologues ayant eu des doutes voire des difficultés pour déterminer comment réagir face à des CSI, et ayant moi-même été concernée par ces questionnements, il m’est apparu important de mener une étude sur ce sujet.

Objectifs de l'étude

L’objectif principal de cette étude était de déterminer la prévalence et la nature des CSI rencontrés par les sexologues francophones dans le cadre de leurs consultations.

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Les objectifs secondaires de cette études étaient de :

  • Comparer la prévalence des CSI selon le profil des sexologues : genre, âge, ancienneté

  • Identifier des facteurs de risque d’exposition aux CSI : présence sur différents outils numériques (avec ou sans photo)

  • Décrire les réponses apportées aux CSI

  • Décrire les répercussions éventuelles des CSI sur l’état émotionnel des sexologues

  • Décrire les stratégies adoptées par les sexologues pour limiter leur exposition aux CSI

  • Recueillir les perceptions et les éventuelles attentes des sexologues à propos de la protection contre les CSI

[Les résultats concernant les objectifs secondaires sont en cours d'analyse et seront publiés prochainement]

Méthodologie de l'étude

Cette étude transversale repose sur le recueil de données quantitatives via un questionnaire auto-administré en ligne.  

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La population cible correspondait à l’ensemble des professionnel·les francophones qui proposaient au moment de l’étude des consultations de sexologie, y compris les personnes estimant avoir été peu ou pas confronté·es à des CSI.

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Le questionnaire a été élaboré à partir de l’analyse des données disponibles dans la littérature francophone et anglophone sur le sujet des violences sexistes et sexuelles au travail et des comportements sexuels inappropriés dans le cadre d’une relation de soin, notamment le travail de thèse de S. Dehlinger portant sur les CSI rencontrés par les médecins généralistes en libéral (2023), et complété par l’analyse d’une trentaine de témoignages de sexologues sur plusieurs groupes de discussions en ligne entre collègues.

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Le questionnaire était mis à disposition sur la plateforme sécurisée LimeSurvey, qui garantissait l’anonymat des réponses. Les participant·es étaient volontaires et non rémunérés. Le questionnaire a été testé par 6 sexologues afin d’évaluer la bonne compréhension des questions et l’exhaustivité des propositions fournies pour répondre aux questions fermées.

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Le questionnaire était accessible du 12 novembre 2023 au 10 février 2024. Il a été diffusé par le biais de la newsletter du Réseau de santé sexuelle publique (RSSP), d’un article sur le site Sexoblogue.fr relayé dans la newsletter de ce média, de publications de comptes Instagram et LinkedIn tenus par des sexologues, de groupes privés d’échanges entre sexologues sur Facebook, Whatsapp et Discord, d’initiatives individuelles pour partager ce questionnaire à des collègues. Les autres instances professionnelles sollicitées n’ont pas répondu à la proposition de diffuser cette étude.

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[Des tests statistiques seront appliqués aux résultats de certaines questions, l'analyse statistique des résultats sera publiée dans les prochaines semaines]

Description de l'échantillon

Au total, 200 personnes ont répondu de manière au moins partielle au questionnaire. Après suppression des répondants n’ayant pas répondu aux questions portant sur l’exposition aux CSI (n=73), 127 réponses ont été conservées dans l’analyse.

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L’échantillon analysé se compose de 127 professionnel·les francophones proposant des consultations de sexologie au moment de l’étude, dont 116 femmes (91%), 8 hommes (6%) et 3 personnes non-binaires ou agenre (2%). Les participant·es étaient âgé·es de 24 à 72 ans (médiane = 31 ans ; moyenne = 43 ans), avec une durée d’exercice de la sexologie de 1 à 40 ans (médiane = 3 ans, moyenne = 6 ans).

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63% des participant·es ont indiqué posséder un diplôme d’Etat dans le domaine médical, paramédical ou social : psychologue clinicien·ne (24%), infirmier·e (10%), conseiller·e conjugal·e et familial·e (10%), médecin (8%), sage-femme (6%), kinésithérapeute (2%), psychomotricien·ne (2%) ou assistant·e social·e (2%).

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Années d'expérience.JPG

Prévalence des comportements sexuels inappropriés en consultation de sexologie

Une liste de 16 comportements à connotation sexuelle inadaptés au cadre d’une relation thérapeutique a été élaborée à partir des CSI décrits dans la littérature et des témoignages de sexologues recueillis dans des groupes d’échanges entre collègues. 91% des sexologues interrogé·es ont rapporté avoir déjà rencontré au moins un de ces comportements dans le cadre de leur activité – avant, pendant ou après une consultation : 39% au cours des 30 derniers jours, 39% au cours des 12 derniers mois, 13% il y a plus longtemps.

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Les comportements les plus fréquemment rapportés sont :

  • Les prises de contact sans intention de rendez-vous, qui visent à amener la conversation sur des thèmes sexuels excitants (73%, dont 25% au cours des 30 derniers jours)

  • Les propos inutilement crus ou pornographiques, les descriptions détaillées et non-sollicitées d’organes génitaux, de fantasmes, de pratiques, destinés à déstabiliser (69%, dont 17% au cours des 30 derniers jours)

  • Les avances insistantes ou répétées (48%, dont 6% au cours des 30 derniers jours)

  • L’évocation de possibles interactions sexuelles en consultation (47%, dont 14% au cours des 30 derniers jours)

  • Les demandes de services sexuels ou de réalisation de fantasmes (40%, dont 13% au cours des 30 derniers jours)

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Même s’ils concernent une minorité de répondant·es, des comportements particulièrement hostiles ont été rapportés : 6% des sexologues ont déjà été attendu·es à la sortie de leur lieu de consultation ou suivi·es dans la rue, 3% ont déjà subi une agression sexuelle (contact sexuel sans pénétration) et 3% des menaces de viol.

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Un champ permettait de décrire les autres comportements inadaptés qui n’auraient pas été listés et 46 répondant·es (36%) l’ont utilisé pour rapporter d’autres situations, notamment des appels de personnes en train de se masturber (10 mentions, 8%) et des insultes ou menaces d’agression physique suite à un refus de rdv en raison d’un comportement inapproprié (4 mentions, 3%).

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Fréquence des CSI en détail.JPG

Genre des auteur·ices de CSI dans le cadre des consultations de sexologie 

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Au cours des 12 derniers mois, 71% des sexologues rapportent qu’au moins une personne a eu des propos ou un comportement à connotation sexuelle qui leur semble inapproprié dans le cadre de leurs consultations de sexologie – avant, pendant ou après une consultation. En ce qui concerne le genre des auteur·ices de ces comportements, 68% rapportent qu’au moins un homme a eu ce genre de comportement, 12% au moins une femme, 4% au moins une personne non-binaire. Plus précisément, les participant·es étaient invité·es à indiquer combien de personnes avaient eu ce type de comportement en fonction de leur genre et du fait qu'elles présentaient ou non un trouble cognitif ou un handicap mental (diagnostic dont elles avaient connaissance ou qu'elles estimaient probable d'après leur comportement) :

  • 65% (n=82) au moins un homme ne présentant à leur connaissance aucun trouble cognitif ou handicap mental (les participant·es concerné·es ont relevé des comportements inappropriés de la part de 6,6 hommes en moyenne au cours des 12 derniers mois) ;

  • 15% (n=19) au moins un homme présentant un trouble cognitif ou handicap mental (en moyenne 1,7 hommes) ;

  • 11% (n=14) au moins une femme ne présentant à leur connaissance aucun trouble cognitif ou handicap mental (en moyenne 1,3 femmes) ;

  • 3% (n=3) au moins une femme présentant un trouble cognitif ou handicap mental (en moyenne 1,3 femmes)

  • 4% (n=5) au moins une personne non-binaire ne présentant à leur connaissance aucun trouble cognitif ou handicap mental (en moyenne 2 personnes)

  • 2% (n=2) présentant un trouble cognitif ou handicap mental (en moyenne 1 personne)

Nombre moyen de personnes ayant eu un CSI ces 12 derniers mois.JPG

Mode de consultation au moment des CSI​

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62% des sexologues ayant rencontré des CSI y ont été confronté·es pendant une consultation et 38% uniquement en-dehors de leurs consultations (par exemple pendant une prise de contact). Plus précisément, 31% y ont été confronté·es en exerçant en libéral, alors qu’ils ou elles étaient seul·es sur leur lieu de consultation, 16% en libéral dans un lieu partagé avec d’autres professionnel·les qui étaient présent·es à ce moment-là, 12% en libéral pendant une téléconsultation et 10% en exerçant dans une institution, une association ou un CeGIDD.

Réactions des sexologues face aux comportements sexuels inappropriés

Face à ces comportements, les sexologues qui y ont été confronté·es sont nombreux à indiquer qu’il leur est déjà arrivé de couper tout contact ou d’interrompre l’échange avec cette personne (75%), de faire de la pédagogie en expliquant que ce comportement était inapproprié (72%) ou d’avoir fait cesser ce comportement en reposant leur cadre (64%). Dans une moindre mesure, il leur est aussi arrivé de reposer leur cadre sans que cela mette fin au comportement inapproprié (37%), d’ignorer ces comportements en faisant comme si rien ne s’était passé (30%), de répondre par l’humour (22%). Dans d’autre cas, les sexologues n’ont pas réagi alors que c’était leur intention : 22% se sont déjà trouvé·es dans une situation où ils ou elles n’ont pas pu réagir, parce qu’ils ou elles n’étaient pas sûr·es de ce qui se passait ou étaient figé·es par la surprise, 11% n’ont pas osé réagir par crainte que cette personne se sente mal et 11% n’ont pas osé réagir par crainte de la réaction de cette personne (violence, représailles, etc).

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Réactions face aux comportements inappropriés.JPG

Regard porté par les sexologues sur leurs réactions face aux CSI

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Suite à ces comportements, 65% des sexologues ont déjà éprouvé de la satisfaction en estimant avoir bien réagi, mais 39% rapportent avoir déjà eu des ruminations à propos de la situation et de ce qu’ils et elles auraient pu faire, 35% ont déjà ressenti de la culpabilité de ne pas avoir réagi comme ils et elles auraient voulu et 31% de la honte d’avoir « laissé » quelqu’un se comporter ainsi (avec des doutes sur leur cadre, leur posture, etc).

 

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Personnes et organisations auxquelles les CSI ont été rapportés​

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Les personnes avec qui les sexologues parlent le plus souvent de ces comportements sont leurs collègues, sexologues ou non (66%) et leurs proches, ami·es ou conjoint·es (63%). Ils sont moins nombreux à avoir déjà mentionné ces comportements en supervision (29%) ou à leur employeur ou supérieur·e hiérarchique (18% des sexologues qui ont indiqué avoir rencontré au moins un CSI en travaillant en institution). Par ailleurs, 9% ont déjà rapporté ces faits à la police ou la gendarmerie, 6% à leur médecin traitant, psychologue ou psychiatre, 3% à un organisme représentant leur profession (un syndicat, une association professionnelle, l’ordre des médecins, etc) et 3% à une association agissant dans le champ des VSS. Enfin, 10% des sexologues qui ont rencontré des CSI n’en ont parlé à personne : parmi elles et eux, 73% expliquent ne pas en avoir ressenti le besoin, 18% estiment que ça n’aurait rien changé, 9% ne savaient pas à qui en parler et 9% n’ont pas osé en parler par honte que ce soit arrivé.

Conséquences émotionnelles des CSI à court et moyen terme

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Les conséquences émotionnelles les plus fréquentes suite à ces comportements sont la colère (60% des sexologues confronté·es à des CSI en ont déjà ressenti), des doutes sur leur façon d’être avec les patient·es (49%) et un sentiment d’insécurité ou de danger (46%). Les sexologues rapportent aussi parfois un sentiment d’avoir été utilisé·e (43%), de l’anxiété (39%), des difficultés de concentration (38%), un évitement de certaines situations, par exemple de répondre au téléphone ou de recevoir certain profils de patient·es (36%), une sensibilité accrue ou de l’irritabilité (33%), de la peur de subir des représailles (31%), une perte de confiance ou d’estime de soi (26%), des doutes à propos de leur choix d’être sexologue (24%), de la difficulté pour ressentir des émotions agréables et positives (21%), du détachement et une perte d’empathie (17%), des troubles de l’alimentation ou du sommeil (11%) et pour quelques un·es des troubles physiques comme le déclenchement d’un mal de dos ou d’une maladie immunitaire (3%).

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L’impact émotionnel de ces CSI est souvent limité aux heures qui suivent l’évènement, mais peut aussi se poursuivre plusieurs jours voire plusieurs semaines. Les sexologues rapportent notamment qu’il leur est arrivé de ressentir pendant au minimum plusieurs semaines :

  • Un évitement de certaines situations (16%)

  • Des doutes sur leur façon d’être avec les patient·es (13%)

  • Un sentiment d’insécurité (9%)

  • De l’anxiété (8%)

Perception des CSI et sentiment de préparation pour y faire face

69% des participant·es considèrent que tou·tes les sexologues sont confronté·es un jour ou l’autre à des comportements sexuels inappropriés. Plusieurs participant·es ont précisé dans le champ d’expression libre en fin de questionnaire avoir le sentiment que les hommes sexologues sont peu concernés.

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31% des participant·es ont indiqué qu’à leurs yeux, les CSI arrivent surtout quand le ou la sexologue a mal posé son cadre, tandis que 63% ont indiqué être en désaccord avec cette idée.

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Seulement 7% des participant·es ont estimé que ces comportements sont inévitables et qu’on ne peut pas y faire grand-chose, tandis que 89% ont exprimé leur désaccord avec cette idée.

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69% estiment savoir quoi faire si cela leur arrivait demain – mais seulement 20% sont tout à fait d’accord avec cette affirmation – tandis que 28% indiquent au contraire ne pas être sûr·es de ce qu’il faudrait faire face à ce genre de comportement.

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24% des participant·es ont indiqué avoir appris à identifier et répondre aux CSI pendant leur formation de sexologie, tandis que 73% n’ont pas été formé·es sur ce sujet.

Stratégies de protection individuelles et collectives face aux comportements sexuels inappropriés

La possibilité d’être confronté·es à des CSI pousse de nombreux sexologues à adapter leur pratique et à mettre en place une grande diversité de stratégies pour limiter les comportements inappropriés ou pour se protéger de leurs conséquences. Seulement 27% des sexologues qui ont rencontré des CSI indiquent ne pas avoir particulièrement cherché à limiter leur exposition à ces comportements. La stratégie la plus fréquente est le choix de ne consulter que sur rendez-vous (52% des sexologues qui ont rencontré des CSI). D’autres ont décidé de ne pas communiquer leur numéro de téléphone aux patient·es (14%), de porter une tenue vestimentaire spéciale comme une blouse (13%), de s’équiper d’un moyen de se défendre physiquement comme une lacrymo (13%), de veiller à ne jamais être seul·e sur leur lieu de consultation (13%), de ne pas consulter après une certaine heure (11%), de s’organiser avec une personne proche pour qu’elle veille sur leur sécurité, par exemple en étant disponible en cas d’appel à l’aide (11%), de ne pas être présent·es sur certains réseaux sociaux ou sites de référencement (9%), de prendre des cours de self-défense ou de boxe (8%), de s’équiper d’un dispositif de sécurité ou d’alerte comme un bouton d’alarme (7%).

Invité·es à décrire ce qui leur semble avoir été le plus efficace pour limiter leur exposition à ces comportements, les participant·es citent quatre types de stratégies :

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  • Une adaptation du cadre des séances et de leur posture

    • Une pose du cadre en début de séance ou en amont par téléphone (expliquer le métier, ce qui se passe et ce qui ne se passe pas en consultation) et un rappel ferme du cadre en cas de non-respect

    • Une posture distante voire "froide"

    • Le développement de son assertivité et de ses compétences d’auto-défense (par exemple grâce à des cours de krav-maga ou de jiu-jitsu brésilien)

  • Une adaptation du mode d'exercice​

    • Un partage de son lieu de travail avec d’autres professionnel·les

    • Une présentation en tant que professionnel·le du secteur médical / paramédical ou en tant que cabinet plutôt qu’en son nom propre

  • Une sélection des patient·es​

    • Une interrogation sur le motif de consultation lors de la prise de rdv

    • Le refus de fixer un rdv en cas de doute sur les motivations

    • Le refus de recevoir des hommes (cisgenres hétérosexuels)

  • Une restriction des modes de prise de contact​

    • Ne pas répondre aux appels masqués, aux appels dans la soirée

    • Ne pas répondre au téléphone

    • Une présence limitée sur les réseaux sociaux

    • Une offre de consultations de sexologie réservée aux patient·es adressé·es par des collègues, confrères, consœurs 

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Les stratégies collectives envisagées par les sexologues

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Les participant·es ont également été invité·es à décrire ce qui pourrait améliorer la sérénité et la protection des sexologues dans le cadre de leur exercice. Au-delà des actions individuelles que chacun·e pourrait adopter, de nombreuses réponses évoquaient des stratégies collectives qui peuvent être classées selon 4 axes :

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  • La lutte contre le patriarcat

    • ​Éduquer les hommes au respect

    • Sensibiliser tout le monde au sujet des violences sexistes et sexuelles

    • Promouvoir d’autres modèles de masculinité

  • La solidarité et l'auto-organisation entre professionnel·les

    • S’entourer d’autres pro conscient·es des enjeux sur son lieu de travail

    • Mettre en place un système de signalement des personnes malveillantes

    • Créer un syndicat pour se défendre collectivement

  • Le soutien institutionnel​

    • ​Améliorer la notoriété de notre métier et de son cadre (protection du titre)

    • Créer une charte des droits et devoirs en consultation avec un protocole d’exclusion de suivi

    • Être formé·es à présenter notre activité

    • Être formé·es à prendre soin de soi après un évènement choquant

    • Créer davantage de postes dans des institutions / organismes publics

  • Le soutien légal et judiciaire

    • ​Être entendu·es par les forces de l’ordre / la justice, avec une véritable enquête en cas de plainte

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Les mesures prioritaires à mettre en place

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Une liste de mesures qui pourraient être mises en place pour améliorer la sérénité et la protection des sexologues dans le cadre de leur exercice a été proposée aux participant·es : 77% ont estimé qu’il faudrait en priorité une sensibilisation systématique sur les CSI pendant la formation de sexologie, 62% une élaboration de recommandations pour se protéger et savoir comment réagir face aux CSI, 52% des formations avec jeux de rôle pour identifier ces comportements et y réagir verbalement et physiquement, 48% de études portant sur ces comportements pour mieux les comprendre, 41% une désignation et une formation de référent·es sur ce sujet au sein des organisations professionnelles de sexologie, 37% une campagne de prévention du grand public pour faire changer les comportements, 35% la création d’une cellule d’écoute pour les professionnel·les confronté·es à des CSI, 34% la création de cercles de parole ou de groupes d’échanges entre professionnel·les concerné·es et 28% une campagne d’information à destination des sexologues pour visibiliser ce phénomène.

Conclusion

Les comportements déplacés voire hostiles envers les sexologues sont fréquents. Ils s’inscrivent à l’intersection de plusieurs systèmes de violence, notamment envers les personnes qui ne sont pas perçues comme des hommes cisgenres et envers les personnes qui travaillent dans le domaine de la sexualité. A ce titre, les sexologues ne sont pas les seul·es à être exposé·es au risque de rencontrer ce type de violences, qui peuvent aussi concerner les conseiller·es conjugal·es et familial·es, les intervenant·es en éducation à la sexualité, les formateur·ices sur les violences sexistes et sexuelles, les influenceur·euses « sexo », les vendeur·euses en sex-shop ou encore les travailleur·euses du sexe : chaque profession liée au domaine de la sexualité a un champ spécifique d’expertise et d’action, mais elles sont toutes traversées par des dynamiques de violence similaires. D'autres études auprès de ces professions seraient nécessaires pour connaître la prévalence de ces situations et identifier d'autres stratégies de protection dont les sexologues pourraient s'inspirer.

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